Le phénomène est en train de redéfinir les contours des entreprises, l’organisation du travail, et sa géographie mondiale. Pour le marché du travail, il semblerait que s'ouvre une ère de grands risques comme d’opportunités. Voici les clés juridiques pour appréhender au mieux cette nouvelle manière de travailler.
Le télétravail se définit comme « toute forme d'organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l'employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l'information et de la communication » (art. L. 1222-9 CT).
Le télétravailleur est le salarié de l'entreprise qui effectue, soit dès l'embauche, soit ultérieurement, du télétravail tel que défini ci-dessus.
Le télétravail peut prendre plusieurs formes :
• Sédentaire : le travail est réalisé de façon permanente au domicile du télétravailleur, depuis un bureau annexe de l’employeur ou tout autre lieu préalablement défini ; • Alterné : le télétravailleur alterne des périodes de travail dans les locaux de l’entreprise et des périodes de travail en dehors de l’entreprise ; • Nomade : le télétravailleur effectue de nombreux déplacements mais reste en contact avec l’entreprise grâce aux techniques de communication ; • Et de différentes fréquences : régulier, occasionnel ou exceptionnel.
Le télétravail est possible dans tous les secteurs d’activité, dans toutes les entreprises, publiques ou privées, quelle que soit leur taille, pour tous les postes compatibles avec le télétravail.
Le télétravail, même s’il est effectué au domicile du salarié, se différencie toutefois du travail à domicile qui répond à une réglementation très stricte (rémunération forfaitaire, heures supplémentaires décomptées à la journée, absence de lien de subordination avec le donneur d’ouvrage …).
I. Principe : modalités libres
Le principe est que le télétravail est mis en place dans le cadre d'un accord collectif ou, à défaut, dans le cadre d'une charte élaborée par l'employeur après avis du CSE, s'il existe.
En l'absence d'accord collectif ou de charte, lorsque le salarié et l'employeur conviennent de recourir au télétravail, ils formalisent leur accord par tout moyen (art. L. 1222-9 I CT).
Le code du travail ne prévoit aucun formalisme lorsque le salarié et l'employeur conviennent de recourir au télétravail. L’accord peut être formalisé par une clause dans le contrat de travail ou par tout autre support écrit (avenant, annexe, courrier, mail, etc.).
En cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d'épidémie ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l'activité de l'entreprise et garantir la protection des salariés (art. L. 1222-11 CT).
II. Mise en place par accord collectif ou charte
A. Choix du cadre juridique
La loi de ratification du 29 mars 2018 a supprimé l'exigence d'un accord collectif ou d'une charte pour mettre en place le télétravail dans l'entreprise. Ainsi, depuis le 30 mars 2018, il est donc possible de recourir au télétravail soit en appliquant :
• Un accord collectif qui aura été négocié au préalable. Il peut s'agir d'un accord collectif de branche, d'entreprise, d'établissement, de groupe ; • Ou, à défaut, une charte élaborée par l'employeur après avis du CSE, s'il existe. En raison des termes « à défaut », la mise en place du télétravail par une charte ne peut se faire que, dans l'hypothèse où il y a des délégués syndicaux dans l'entreprise, si une négociation sur le télétravail a été engagée mais qu'elle a échoué. En l'absence de délégué syndical, l'employeur peut directement opter pour la rédaction d'une charte ; il n'est pas tenu d'utiliser les techniques subsidiaires de négociation (négociation avec un salarié mandaté, avec le CSE...).
B. Contenu de l’accord ou de la charte
L’accord ou la charte doivent prévoir : • Les conditions de passage en télétravail, • Les conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail ; • Les modalités d'acceptation par le salarié des conditions de mise en œuvre du télétravail. Afin d’avoir un accord du salarié clair et non équivoque, peuvent être précisés le lieu, le nombre de jours, les équipements fournis, la prise en charge des coûts liés au télétravail... ; • Les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail ; • La détermination des plages horaires durant lesquelles l'employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail ; • Les modalités d'accès des travailleurs handicapés à une organisation en télétravail, en application des mesures prévues à l'article L. 5213-6 CT.
III. Volontariat du salarié
A. Principe
Le télétravail est fondé sur le principe du volontariat du salarié. Il n’est donc pas possible de l’imposer au salarié. Ainsi, le fait pour un salarié de refuser un poste de télétravailleur n’est pas un motif de rupture du contrat de travail (art. L. 1222-9 III al. 3 CT).
L’employeur peut refuser d’accorder le bénéfice du télétravail à un salarié qui en fait la demande. Cependant, l’employeur doit motiver ce refus lorsque le salarié occupe un poste éligible à un mode d’organisation au télétravail selon les conditions prévues par accord collectif ou, à défaut, par la charte (art. L. 1222-9 I al. 4 et III al. 1 CT).
En l'absence de preuve d'un accord écrit sur le télétravail, le refus réitéré du salarié de travailler au siège de l'entreprise est constitutif d'une insubordination et peut constituer une faute grave (Cass. soc. 18 déc. 2013, n° 12- 20228).
B. Exception
En présence de circonstances exceptionnelles (menace d’épidémie ou cas de force majeure), la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés (art. L. 1222-11 CT).
Le fait pour l’employeur d’imposer le poste de télétravail au salarié, dans cette hypothèse, ne constitue pas un motif de rupture du contrat par le salarié pour faute de l’employeur.
IV. Réversibilité du télétravail
L’accord collectif ou la charte précise les conditions de passage en télétravail et les conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail.
A défaut d’accord collectif, les dispositions de l’article 2 de l’ANI du 19 juillet 2005 s’appliquent : une période d’adaptation, pendant laquelle chacune des parties peut mettre fin à cette forme d’organisation du travail, moyennant un délai de prévenance préalablement défini, doit être prévue. Le salarié retrouve alors un poste dans les locaux de l’entreprise correspondant à sa qualification.
En tout état de cause, tout salarié en télétravail est prioritaire pour occuper ou reprendre un poste sans télétravail qui correspond à ses qualifications et compétences professionnelles (art. L. 1222-10 2° CT). L’employeur doit donc porter à sa connaissance la disponibilité de tout poste de cette nature.
I. Devoir d’information
L’employeur informe le télétravailleur des dispositions légales et des règles propres à l’entreprise relatives à la protection des données et à leur confidentialité. Il est tenu à l'égard du salarié en télétravail :
• De l'informer de toute restriction à l’usage d’équipements ou outils informatiques ou de services de communication électronique • d'organiser chaque année un entretien qui porte sur les conditions d'activité du salarié et sa charge de travail (art. L. 1222-10 3° CT).
II. Mise en conformité du domicile du salarié
A défaut de mise en place du télétravail par accord collectif, l’employeur doit s’assurer, au préalable, de la conformité du lieu et des installations électriques lorsque le télétravail s’exerce au domicile du salarié (art. 7 de l’ANI de 2005). Pour cela, l’employeur doit recueillir l’accord du salarié. Si le salarié s’oppose à la vérification de la conformité de son domicile, par un expert diligenté par l’employeur, deux situations peuvent se présenter : • l’employeur lui refuse le télétravail ; • l’employeur lui demande de prouver la conformité de son domicile au télétravail. Cette preuve peut se faire par le biais d’un certificat de conformité technique et électrique qui sera à la charge de l’employeur, ou par une attestation sur l’honneur du salarié selon laquelle il affirme posséder une installation technique et électrique conforme à l’exercice du télétravail.
III. Fourniture de l’équipement
L’accord collectif ou la charte précise l’ensemble du matériel que l’employeur fournit au salarié en situation de télétravail.
A défaut d’accord collectif ou de charte, les dispositions de l’ANI prévoient que l’employeur fournit, installe et entretient les équipements nécessaires à l’exercice du télétravail à domicile. Si le télétravailleur utilise son propre équipement, l’employeur doit en assurer l’adaptation et l’entretien.
IV. Participation aux frais et dépenses
A. Coûts liés au télétravail
Le code du travail ne prévoit pas la prise en charge par l’employeur des coûts résultant du télétravail. Cependant, selon le rapport relatif à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, l’accord collectif, ou la charte, doit comporter les modalités de prise en charge des coûts découlant directement de l’exercice régulier du télétravail à la demande de l’employeur.
A défaut d’accord ou de charte, l’ANI de 2005 prévoit que l’employeur prend en charge, dans tous les cas, les coûts directement engendrés par l’exercice du télétravail, et en particulier ceux liés aux communications.
L’indemnité versée par l’employeur peut être :
• une indemnité forfaitaire couvrant l'ensemble des frais engendrés par le télétravail (chauffage, électricité, internet, téléphone...) ; • une prise en charge directe des frais liés au télétravail ; • un remboursement sur justificatifs des factures de téléphone, internet...
Depuis le 1er janvier 2020, le site de l’Urssaf précise que l'allocation forfaitaire versée par l'employeur est réputée utilisée conformément à son objet et exonérée de cotisations et contributions sociales dans la limite globale de 10 € par mois, pour un salarié effectuant une journée de télétravail par semaine. Cette allocation forfaitaire exonérée passe à 20 € par mois pour un salarié effectuant 2 jours de télétravail par semaine, 30 € par mois pour 3 jours par semaine…
Lorsque le montant versé par l'employeur dépasse ces limites, l'exonération de charges sociales pourra être admise à condition de justifier de la réalité des dépenses professionnelles supportées par le salarié.
Cependant, ce n'est que si aucun local professionnel n'est mis à la disposition du salarié, que le salarié qui travaille à son domicile doit être indemnisé de cette sujétion particulière, outre le remboursement des frais engendrés par l'occupation à titre professionnel du domicile (Cass. soc. 4 déc. 2013, n°12-19667 ; Cass. soc. 21 sept. 2016, n° 15- 11144 ; Cass. soc. 27 mars 2019, n° 17-21014).
B. Régime social
Les frais engagés par le télétravailleur sont considérés comme des charges inhérentes à la fonction ou à l’emploi. Leur remboursement est donc déductible de l’assiette des cotisations sociales, sous réserve que l’employeur justifie de la réalité des dépenses professionnelles supportées par le salarié (art. 6 de l’arrêté du 20 décembre 2002).
3 catégories de frais peuvent être identifiées :
• les frais fixes et variables liés à la mise à disposition d'un local privé pour un usage professionnel ; • les frais liés à l'adaptation d'un local spécifique ; • les frais de matériel informatique, de connexion et de fournitures diverses.
C. Attribution des titres-restaurant
Les textes relatifs à l'attribution des titres-restaurant n'excluent pas les télétravailleurs. Ils imposent uniquement que le salarié prenne son repas pendant son horaire de travail, sans exiger que cet horaire de travail soit effectué dans ou hors de l'entreprise (art. L. 3262-1 CT et R. 3262-7 CT ; Cass. soc., 20 févr. 2013, n° 10-30028).
V. Respect de la vie privée du télétravailleur
L’employeur est tenu de respecter la vie privée du télétravailleur.
Les plages horaires pendant lesquelles l’employeur peut contacter le salarié sont définies par accord collectif, ou à défaut par la charte élaborée par l’employeur.
Si l’employeur met en place un moyen de surveillance, celui-ci doit être pertinent et proportionné à l’objectif poursuivi. Il doit donner lieu à l’information et à la consultation préalable du CSE. Le télétravailleur doit également être informé de la mise en place de ce moyen de surveillance.
I. Egalité de traitement
Le télétravailleur bénéficie des mêmes droits que les salariés travaillant dans les locaux de l’entreprise, notamment en ce qui concerne l’accès aux informations syndicales, la participation aux élections professionnelles et l’accès à la formation (art. L.1222-9 CT).
Comme les autres salariés, le télétravailleur est pris en compte dans les effectifs de l’entreprise pour la détermination des seuils d’effectif.
II. Obligations du télétravailleur
Le télétravailleur doit suivre les règles fixées par l’employeur et prendre soin des équipements confiés par l’entreprise.
En cas de défaillance, de détérioration ou de perte du matériel, le salarié doit en aviser immédiatement l’employeur suivant les modalités fixées dans le contrat (art. 7 ANI).
Le télétravailleur doit être couvert par une assurance pour couvrir l’espace au domicile dédié à l’activité professionnelle ainsi que le matériel mis à disposition par l’employeur (art. 2 ANI). En pratique, l’assurance habitation du salarié est étendue à la situation de télétravail.
L’accord collectif ou l’avenant au contrat de travail peuvent prévoir que le salarié donne une attestation d’assurance en ce sens à son employeur.
I. Rôle des différents acteurs
L’employeur doit prendre toutes les mesures pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés, dont les télétravailleurs (art. L. 4121-1 CT). L’ANI de 2005 prévoit, pour ce faire, que l’employeur doit informer le télétravailleur de la politique de l’entreprise en matière de santé et de sécurité au travail, en particulier, des règles relatives à l’utilisation des écrans de visualisation (art. 8 ANI).
Afin de vérifier la bonne application des règles en matière de santé et de sécurité, le CSE et l’inspection du travail ont accès au lieu du télétravail selon les dispositions en vigueur. Lorsque le télétravail s’effectue au domicile du salarié, cet accès est subordonné à l’accord et à une notification de l’intéressé.
L’employeur doit prendre toute mesure pour prévenir l’isolement du télétravailleur par rapport aux autres salariés. Le salarié doit pouvoir rencontrer régulièrement sa hiérarchie et ses collègues (art. 9 ANI). L’employeur est, par ailleurs, tenu d’organiser chaque année un entretien portant notamment sur les conditions d’activités et la charge du travail du télétravailleur (art. L.1222-10 CT).
De même, afin d’éviter les risques de surcharge de travail du télétravailleur, l’ANI prévoit que la charge de travail et les critères de résultat exigés du télétravailleur doivent être identiques à ceux des autres salariés de l’entreprise. La charge de travail et les délais d’exécution doivent permettre au télétravailleur de respecter la législation relative à la durée du travail, notamment la durée maximale du travail et les temps de repos (art. 9 ANI).
En effet, l’employeur doit veiller au respect de la réglementation sur le temps de travail, notamment en s’assurant de la fiabilité du système de décompte des heures supplémentaires (arrêté du 15 juin 2006).
II. Cas particulier de l’accident du travail
Est considéré comme un accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise (art. L. 411-1 CSS).
En cas d’accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle du télétravail, il existe présomption d’accident du travail (art. L. 1222-9 CT).