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Interview de Guillaume Roehrig, Généalogiste successoral, Expert Judiciaire près la Cour d’Appel de Paris, Directeur Général du Groupe Coutot-Roehrig.

ROEHRIG_Guillaume_Coutot Roehrig
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04/04/2023

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste le métier de généalogiste ?

Il convient tout d’abord de distinguer deux professions : celle de généalogiste familial, qui effectue des recherches pour aider à connaître ses origines familiales ; et celle de généalogiste successoral, dont la mission est la recherche d’héritiers afin de valider et certifier une succession.

Lorsque le généalogiste successoral est mandaté par un notaire, deux types de missions lui sont présentées :

  • celle où le notaire a des doutes sur le ou les héritiers présents ; par exemple : le défunt a été marié plusieurs fois et, en raison d’un livret de famille manquant, il convient de vérifier s’il existe d’autres enfants nés de cette union.
  • celle où le notaire n’a aucune connaissance d’héritier : ce dernier se trouve alors devant une véritable page blanche. En effet, pour pouvoir régler une succession, il faut en connaître les héritiers. Notre rôle est alors d’identifier les héritiers et de les localiser et ce, le plus rapidement possible afin que la succession ne soit pas bloquée. Il faut que tous les héritiers soient présents ou représentés pour que le règlement puisse commencer.

Les enjeux de notre intervention sont primordiaux en ce sens que, si un nouvel héritier se manifeste dans les 10 ans, le partage successoral sera remis en cause, avec des conséquences financières très lourdes.

Travaillez-vous essentiellement avec les notaires ?

En France, nos premiers prescripteurs sont effectivement les notaires, mais nous travaillons également avec des avocats, des syndics de copropriété, des mairies ou bien encore des banques. À l’international, nos interlocuteurs peuvent changer : avocats et experts-comptables en Italie, avocats et trusts aux Etats-Unis, avocats et curateurs de successions en Allemagne.

De quelle manière enquêtez-vous ? Avec quels outils ?

Lorsqu’un dossier nous est confié, nous partons avec souvent un seul document : l’acte de naissance du défunt. À partir de cet élément, nos équipes vont devoir mener une véritable enquête. D’abord en consultant notre base de données, mais également en interrogeant les archives (municipales et départementales), les voisins, les greffes et bien sûr en se déplaçant dans les mairies. Un vrai travail de fourmi !

Ces missions d’enquête sont réalisées par ce que nous appelons les « généalogistes-chercheurs » (qui ont souvent des formations en histoire) - profils que nous distinguons des « régleurs de succession » qui interviennent comme interface entre le notaire et le, ou les héritiers pour les représenter, les assister dans la signature des actes. Ce sont des personnes qui sont, pour la grande majorité, issues du notariat.

Vous venez de mentionner votre base de données : pouvez-vous revenir sur cet outil ?

La genèse de notre base dématérialisée de données est étonnante : en 2000, nous avons lancé un appel d’offres pour la numérisation de notre fichier papier qui comprenait plus d’un milliard de données. Et ce sont des moines bénédictins qui ont remporté le marché !

En quelques chiffres, nous avons investi pas moins de 22 millions d’euros depuis le lancement de ce projet qui est aujourd’hui géré par plus de 10 personnes à plein temps dont un DPO (délégué à la protection des données), sans oublier les 50 personnes qui quotidiennement s’occupent de numériser ces données. Avec cet outil, le gain de temps est précieux pour nos recherches, et donc nos clients. C’est un véritable « toboggan ».

À quelles difficultés faites-vous face dans le cadre de vos missions ?

Nous sommes de plus en plus amenés à mener nos recherches à l’étranger et, selon les pays, l’accès aux sources peut se révéler ardu. En effet, dans certaines régions d’Afrique, le droit est coutumier, rien n’est écrit : je me souviens d’un dossier pour lequel j’ai dû rencontrer le chef d’une tribu pour lui demander de certifier que notre client n’avait eu qu’un seul enfant ! Dans le cadre de conflits (en Ukraine ou en Syrie, par exemple), les recherches peuvent également être plus complexes. À l’inverse, au Royaume-Uni, tout est centralisé à Londres, mais l’accès aux informations est payant.
Il est certain que nous avons un référentiel très haut car nous avons en France un système d’état civil très bien tenu, qui est beaucoup envié par les autres pays.

Vous indiquez intervenir de plus en plus à l’international. Vous exercez depuis 25 ans, vos parents étaient eux-mêmes généalogistes successoraux. Quelles mutations avez-vous notées dans l’exercice de vos fonctions ?

Nous sommes aux premières loges pour observer les évolutions de nos modes de vie. Et les nouveaux schémas familiaux sont source d’incertitude successorale. Première évolution par rapport aux recherches qui nous étaient confiées à la fin du 19e siècle : nous sommes amenés à retrouver des héritiers de plus en plus proches en degré. Pour rappel, en France, la loi autorise les recherches jusqu’au 6ème degré. Avant, nous n’étions mandatés que pour trouver de lointains cousins. Or, aujourd’hui, 35% de nos dossiers nous amènent à retrouver soit des enfants, soit des frères et sœurs. Et la tendance va s’accélérer dans les années à venir.
Les familles sont en effet maintenant plurielles, les enfants issus de parents non mariés et le nombre de divorces explose… Les familles sont donc de plus en plus éclatées.

Seconde grande évolution : notre terrain de jeu est clairement devenu international. Les frontières s’amenuisent, vivre à l’étranger devient plus simple et plus fréquent. Les familles se mondialisent, et les recherches d’héritiers très logiquement aussi. Aujourd’hui, un dossier sur quatre renvoie à l’étranger. Parfois, un seul dossier peut même nous mener à enquêter dans 15 pays. D’ici 2040, nous prédisons qu’il y aura un élément d’extranéité dans tous nos dossiers.

L’international fait donc partie de vos axes de développement ?

Oui, clairement. Nous avons aujourd’hui 46 succursales dont 12 à l’étranger. Nous travaillons en premier lieu en Italie, mais également en Espagne, à Monaco, en Suisse, en Belgique ou encore au Luxembourg. Et nous avons des projets d’implantation à court terme en Allemagne et au Royaume-Uni. Il est primordial de répondre aux besoins de nos clients.

Vous comptez aujourd’hui plus de 300 collaborateurs : êtes-vous en phase de recrutement ? Quel profil recherchez-vous le plus ?

Notre devrions en effet recruter une quinzaine de collaborateurs cette année, qu’il s’agisse de profils de chercheurs ou de juristes, aussi bien en France qu’à l’étranger.

L’entreprise Coutot-Roehrig, fondée en 1894, s’est beaucoup développée pour devenir la première société européenne de recherche d’héritiers. Nous sommes fiers d’avoir bâti une véritable marque employeur (nous avons d’ailleurs récemment reçu le label « Great place to work ») sans perdre l’ADN de cette maison en grande partie familiale : notre taux de turnover est quasi nul, nos collaborateurs passionnés par leurs missions aiment former leurs nouveaux collègues. Nous avons d’ailleurs notre propre école de formation.

Nous fêterons dans quelques mois nos 130 ans, je suis ravi de passer ce nouveau cap avec mes équipes et de continuer à exercer un métier-passion qui évolue avec la société et où chaque dossier est différent.

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